Pour le plaisir de goûter des extraits d'auteurs célèbres

Nous restâmes, Henriette et moi, pendant une partie de la soirée, sous nos acacias; les enfants jouaient autour de nous, baignés dans les rayons du couchant.

Nos paroles rares et purement exclamatives nous révélaient la mutualité des pensées par lesquelles nous nous reposions de nos communes souffrances. Quand les mots manquaient, le silence servait fidèlement nos âmes qui pour ainsi entraient entraient chez l'une chez l'autre sans obstacle, mais sans y être conviées par le baiser; savourant toutes deux les charmes d'une torpeur pensive, elles s’engageaient dans les ondulations d'une même rêverie, se plongeaient ensemble dans la rivière, et, sortaient rafraîchies comme deux nymphes aussi parfaitement unies que la jalousie peut le désirer, mais sans aucun lien terrestre. Nous allions dans un gouffre sans fond, nous revenions à la surface, les mains vides, en nous demandant par un regard : - "Aurons-nous un seul jour à nous parmi tant de jours?".

Le lys dans la vallée - Honoré de Balzac -


La vie c'est un compte de faits

70 ans d'adolescence - Henri Jeanson


Dès qu'il eut goûté ce mets, le comte trouva un intervalle infranchissable entre la première et la seconde bouchée. Son embarras fut grand, il tenait fort à ne point mécontenter le cuisinier qui l'observait attentivement. Si le restaurateur français se soucie peu de voir de voir dédaigner un mets dont le paiement est assuré, il ne faut pas croire qu'il en soit de même d'un restaurateur italien à qui souvent l'éloge ne suffit pas.

Gambara - Honoré de Balzac


Dès le lendemain du bal donné par lady Dudley, sans avoir fait ni reçu la plus timide déclaration, Marie se croyait aimée de Raoul, et Raoul se savait choisi pour amant par Marie. Quoique ni l'un ni l'autre ne fussent arrivés à ce déclin où les hommes et les femmes abrègent les préliminaires, tous deux allèrent rapidement au but.

Une fille d'Ève - Honoré de Balzac


La scène se déroule à Venise

Génovese prit le ciel et la mer à témoin par un mouvement d'emphase; puis, sans autre accompagnement que le murmure de la mer, il chanta l'air d'ombra adorata, le chef d'oeuvre de Crescentini. Ce chant qui s'éleva entre les fameuses statues de Saint-Théodore et Saint Georges, au sein de Venise déserte, éclairée par la lune, les paroles si bien en harmonie avec ce théâtre, et la mélancolique expression de Genovese, tout subjugua les italiens et le Français. Aux premiers mots , Vendramin eut le visage couvert de grosses larmes, Capraja fut immobile comme une statue du palais ducal. Cataneo parut ressentir une émotion. Le Français surpris, réfléchissait comme une savant saisi par un phénomène qui casse un des ses axiomes fondamentaux. Ces quatre esprits si différents, dont les espérances étaient si pauvres, qui ne croyaient à rien ni pour eux ni après eux, qui se faisaient eux mêmes la concession d'être une forme passagère et capricieuse, comme une herbe ou quelque coléoptère, entrevirent le ciel. Jamais la musique ne mérita mieux son épithète de divine. ...

Massimila Doni - Honoré de Balzac (T 12 p226)

 

http://next.liberation.fr/livres/2005/11/10/ombra-adorata-ou-le-sacre-de-l-artiste_538576


Un portraitiste hors pair

A trente-huit ans, Jérome Denis Rogron offrait la physionomie la plus niaise que jamais un comptoir ait présenté à des chalands. Son front écrasé, déprimé par la fatigue était marqué de trois sillons arides. Ses petits cheveux gris, coupés ras, exprimaient l'indéfinissable stupidité des animaux à sang froid. Le regard de ses yeux bleuâtres ne jetait ni flamme, ni pensée. Sa figure ronde et plate n’excitait aucune sympathie et n'amenait même pas le rire sur les lèvres de ceux qui se livrent à l'examen des Variétés de Parisiens: elle attristait. ...(T 12 p356)

 

Elle avait ses beaux cheveux cendrés en désordre sous un petit bonnet chiffonné pendant son  sommeil, un petit bonnet en percale et à ruches qu'elle s'était fait elle-même. De chaque côté de ses tempes il passait des boucles échappées de leurs papillotes en papier gris. Derrière la tête, une grosse natte aplatie pendait déroulée. La blancheur excessive de sa figure trahissait une de ces horribles maladies de jeune fille a laquelle la médecine a donne les nom gracieux de chlorose, et qui prive le corps de ses couleurs naturelles, qui trouble l'appétit et annonce de grands désordres dans l'organisme. Ce ton de cire existait dans toute la carnation. Le cou et les épaules expliquaient par leur pâleur  d'herbe étiolée la maigreurs des bras jetés en avant et croisés. Les pieds de Pierrette paraissaient amollis, amoindris par la maladie. Sa chemise ne tombait qu'à mi-jambe et laissait voir les nerfs fatigués, des veines bleuâtres, une carnation appauvrie. Le froid qui l'atteignit lui rendit les lèvres d'un beau violet. Le triste sourire qui tira les coins de sa bouche assez délicate montra des dents d'un ivoire fin et d'une forme menue, de jolis dents transparentes qui s'accordaient avec ses oreilles fines, avec son nez un peu pointu mais élégant, avec la coupe de son visage, qui, malgré sa parfaite rondeur, était mignonne. Toute l'animation de ce charmant visage se trouvait dans des yeux dont l'iris couleur tabac d'Espagne et mélangé de points noirs, brillait par des reflets d'or autour d'une prunelle profonde et vive. Pierrette avait du être gaie, elle était triste. Sa gaieté perdue existait encore dans la vivacité des contours de l’œil, dans la grâce ingénue de son front et dans les méplats de son menton court. Ses longs cils se dessinaient comme des pinceaux sur ses pommettes altérées par la souffrance. Le blanc, prodigué outre mesure rendait d'ailleurs les lignes et les détails de la physionomie très purs. L'oreille était un petit chef d'oeuvre de sculpture: vous eussiez dit du marbre. Pierrette souffrait de bien des manières. Aussi peut-être voulez-vous son histoire ? La voici:....

Pierrette - Honoré de Balzac (T 12 p47-348)

 

l'Égalité ... un concept de Droit mais ...

— A vous, reprit le courageux prêtre, à vous dont l’âme est si grande, je dois d’autres paroles que celles dues à mes humbles paroissiens. Vous pouvez, vous dont l’esprit est si cultivé, vous élever jusqu’au sens divin de la religion catholique, exprimée par des images et par des paroles aux yeux des Petits et des Pauvres. Écoutez-moi bien, il s’agit ici de vous ; car, malgré l’étendue du point de vue où je vais me placer pour un moment, ce sera bien votre cause.< Le Droit, inventé pour protéger les Sociétés, est établi sur l’Égalité. La Société, qui n’est qu’un ensemble de faits, est basée sur l’Inégalité. Il existe donc un désaccord entre le Fait et le Droit. La Société doit-elle marcher réprimée ou favorisée par la Loi ? En d’autres termes, la Loi doit-elle s’opposer au mouvement intérieur social pour maintenir la Société, ou doit-elle être faite d’après ce mouvement pour la conduire ? Depuis l’existence des Sociétés, aucun législateur n’a osé prendre sur lui de décider cette question. Tous les législateurs se sont contentés d’analyser les faits, d’indiquer ceux blâmables ou criminels, et d’y attacher des punitions ou des récompenses. Telle est la Loi humaine : elle n’a ni les moyens de prévenir les fautes, ni les moyens d’en éviter le retour chez ceux qu’elle a punis>

La philanthropie est une sublime erreur, elle tourmente inutilement le corps, elle ne produit pas le baume qui guérit l’âme. Le philanthrope fait des projets, a des idées, en confie l’exécution à l’homme, au silence, au travail, à des consignes, à des choses muettes et sans puissance. La Religion ignore ces imperfections, car elle a étendu la vie au delà de ce monde. En nous considérant tous comme déchus et dans un état de dégradation, elle a ouvert un inépuisable trésor d’indulgence ; nous sommes tous plus ou moins avancés vers notre entière régénération, personne n’est infaillible, l’Église s’attend aux fautes et même aux crimes. Là où la Société voit un criminel à retrancher de son sein, l’Église voit une âme à sauver. Bien plus !… inspirée de Dieu qu’elle étudie et contemple, l’Église admet l’inégalité des forces, elle étudie la disproportion des fardeaux. Si elle vous trouve inégaux de cœur, de corps, d’esprit, d’aptitude, de valeur, elle vous rend tous égaux par le repentir. Là l’Égalité, madame, n’est plus un vain mot, car nous pouvons être, nous sommes tous égaux par les sentiments.

Le Curé de village - Honoré de Balzac...(T 14 p402)

 

 

la douceur  innocente

Cette vielle femme prit la main de son petit-fils, la leva, se la passa sur le front, sur les joues, comme si cette main enfantine épanchait un baume réparateur; puis elle y mit un baiser plein d'une affection dont le secret appartient aussi bien aux grand-mères qu'aux mères.

Le Curé de village - Honoré de Balzac...(T 14 p510)